On ne se joue pas des mots avec un poète.

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Nicolas Sarkozy a annulé son séjour en Martinique. Aimé Césaire, ancien député et maire honoraire de Fort-de-France, avait annoncé quelques jours plus tôt son refus de recevoir le ministre de l’Intérieur. Il lutte, encore, contre la colonisation 1Le 5 décembre, Aimé Césaire déclarait dans un communiqué de presse :
« Je n’accepte pas de recevoir le Ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy pour deux raisons.
1ère : des raisons personnelles.
2ème : parce que , auteur du “
Discours sur le Colonialisme”, je reste fidèle à ma doctrine et anticolonialiste résolu. Et ne saurais paraître me rallier à l’esprit et à la lettre de la loi du 23 février 2005. »
Cette loi, « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés », mentionnait dans l’alinéa 2 de l’article 4 que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer ».
Mise à jour : L’alinéa 2 a été supprimé par décret le 15 février 2006.
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On ne la lui fait pas, au vieux chantre nègre. Aimé Césaire ne s’acoquine pas avec n’importe qui. Surtout pas avec quelqu’un qui laisse aller son langage. Avec Léopold, il a donné ses lettres noires à la poésie moderne. Toujours aimé les mots pour leur justesse, et leur pouvoir de suggestion.

Et aujourd’hui comme hier, qui dit négritude, dit engagement. Parce Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire se battaient dans un monde raciste, ils n’ont pas manier que les mots. Senghor devient président du Sénégal, dans une Afrique exsangue qu’il vénérait comme une femme. Césaire siège à l’Assemblée nationale française. Un même élan politique pour un monde qu’ils écrivent meilleur.

En face, le favori pour la présidence française en 2007. En face, un ténor des tribunes politiques, qui a fait des mots une arme implacable de son ambition. Et pourtant. Pourtant, il en laisse échapper, des mots. Et quels mots. Quand on est homme politique, on possède le pouvoir, par la façon dont on décrit les faits, de les redéfinir. Parce qu’on est homme d’action. Dans les mots du politique, se trouvent les solutions de demain.

L’homme de Neuilly, il enfonce. Forcément volontairement. Il est trop fin stratège pour se tromper de paroles. « Karcher ». « Racaille ». Des mots qui marquent. Des mots qui choquent une opinion traumatisée par l’insécurité qu’on lui montre. Cela, le présidentiable le sait. Il sait jouer avec la peur.

Et personne ne dit rien. Les Français aiment cet homme qui ose dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas. N’étant pas sans rappeler un borgne qui inquiéta la France il y a trois ans. Populaire, il l’est déjà. Populiste, il n’y avait qu’un pas. Et personne n’arrête sa marche.

Aimé, lui, n’accepte pas. Il ne tolère pas qu’on glorifie la soumission des siens. Quand on vient étudier chez les blancs dans les années 30, on sait ce qu’est l’exclusion. Etre meilleur que les autres, parce qu’on ne vient pas du même endroit. Inéluctable. Lui qui a voulu se servir des lettres pour redessiner son monde ne recevra pas le président de demain. Il n’accepte pas qu’on réécrive l’histoire ; ni qu’on stigmatise la misère. Sur le dos des siens. Il connaît trop ça.

Nicolas Sarkozy a annulé son voyage. Il ne verra pas la Martinique. Il ne verra pas la racaille. La misère. Il ne rentrera pas sur une terre avec laquelle il se met en guerre, l’un des départements français les plus touchés par l’exclusion ; parce que le vieux singe a osé faire la grimace sur une main indigne. On ne se joue pas des mots avec un poète.